Gilbert Bourson – Monologue d’un guéridon de salle d’attente d’un psychanalyste (RALM)

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A LA UNE CETTE SEMAINE

GILBERT BOURSON
MONOLOGUE D’UN GUÉRIDON DE SALLE D’ATTENTE D’UN PSYCHANALYSTE
fantaisie

Depuis que je trône dans la salle d’attente de mon psychanalyste, tout recouvert de revues spécialisées un peu dégoutantes d’avoir été manipulées, le plus souvent survolées plutôt que lues, je me sens le plus complexé des guéridons. Peut-être devrai-je employer le féminin de table basse, tant j’hésite à me situer dans l’un de ces genres parmi la race du mobilier à laquelle incontestablement j’appartiens. Parfois on pose un peu n’importe quoi sur ma surface déjà passablement encombrée, et ça fait rire les fauteuils libres ou étouffés sous les patients qui bordent le cabinet, et je me venge en pensant qu’ils pouffent pour les rabaisser au rang de ces petits pots à tabac qu’on trouve dans les maisons orientales et que nous appelons pouffes, ou plutôt appelions, car le terme ne s’emploie plus guère, l’objet lui-même ayant disparu de nos ameublements….

SEMAINES – avec Daniel Aranjo, Enrique Arias Beaskoetxea,
Francisco Azuela, Gilbert Bourson, Patrick Cintas, Daniel de Cullá, Jean-Michel Guyot, Pascal Leray,
Santiago Montobbio, Stéphane Pucheu, Rolando Revagliatti, Stéphane Tomaso, Henri Valero, Pascal Uccelli, Carmen Vascones, Robert Vitton, le groupe Personæ.

LE SOMMAIRE complet de ce numéro est 

SOMMAIRE RALM
no107
(Chantiers en cours)

Les manuscrits peuvent être proposés via le contact du site.

BONNE LECTURE…
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Notre-Dame n’est pas la mienne (RALM)

 

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A LA UNE CETTE SEMAINE


NOTRE-DAME N’EST PAS LA MIENNE
"Le déshonneur des poètes" (rappel)
avec Benjamin Péret.

En ces temps d’exaltation religieuse et patriotique, il n’est pas mauvais de se rappeler que les guerres sont uniquement d’origine religieuse ou/et patriotique. Le cirque gouvernemental ne vaut mieux que les pitreries populistes. Mais c’est un spectacle. Et il faut bien avouer qu’il n’y a rien de plus nourrissant (terrestrement parlant) que les spectacles de l’écran. À moins qu’on se contente du familial toujours anecdotique et limité à… l’intérieur.

Benjamin Péret :
« Tant que les fantômes malveillants de la religion et de la patrie heurteront l’aire sociale et intellectuelle sous quelque déguisement qu’ils empruntent, aucune liberté ne sera concevable : leur expulsion préalable est une des conditions capitales de l’avènement de la liberté. »

[Lire dans la RALM…]

La Passion de Louis Marette (17)

 

CHAQUE SEMAINE (ou presque)

La suite des aventures de Louis Marette se fait «désirer»… C’est que votre serviteur est en ce moment même très occupé par l’édition des travaux de Pascal Leray dans la RALM : [Nº 102]. Voir aussi [Génèse des séries]. Travail éditorial considérable et passionnant… Pour ceux que la littérature française intéresse…

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La revue littéraire de Mazères
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Suite du Perroquet de Louis Marette

 

La Passion de Louis Marette (17)

 

La Passion de Louis Marette (17)

En attendant de répondre à cette question canonique, Jim se servait de ses yeux pour fouiller du regard les coins les plus obscurs de ce village trop catholique pour être le siège divin de l’honnêteté et pas assez cultivé pour en répondre avec toute la sincérité qui en principe s’impose aux candidats à l’éternité. Les ombres étaient noires et le ciel… fuligineux.

Marette ayant choisi d’aller à pied, Jim pensa qu’il finirait par le trouver à proximité d’un débit de boisson. Or, c’est ce qui se passa : Marette frappait en ce moment même à la porte d’un établissement sous licence. Mais elle était fermée. Jim se dissimula dans une de ces ombres non sans en avoir exploré la profondeur à l’aide de sa torche divine. Elle n’était pas habitée, ni par un chien en quête d’un coin tranquille pour se livrer à ses habitudes, ni par son être humain quelquefois surpris en cours de vomissement.

Jim craignait que le raffut occasionné par Marette finît par réveiller une population pourtant endormie par volonté et calcul divin. Il avait confiance en Dieu, mais avec Marette, cette confiance avait des limites que le baptiste ne tenait pas à franchir sans garanties. Il se tint immobile et coi pendant que le maire de Mazères réclamait son dû. En principe, les morts oublient ce qu’ils ont été et leurs revendications n’ont rien de personnel : ils se joignent au troupeau céleste sans demander leurs restes. Alors la question se posait : Louis Marette était-il mort ? Ou mieux dit encore : À quel jeu jouait le bon Dieu ? Ça devenait compliqué. Jim s’efforçait de s’en tenir à ses obligations de travailleur forcé, mais son esprit voulait savoir. Il en concevait même des couplets qui, si Dieu le décidait, deviendraient des chansons. Marette savait-il jouer d’un instrument qui ne fût pas plein… ?

En attendant de répondre à sa propre attente, Jim était condamné à observer le comportement post-mortem de Louis Marette qui, par volonté divine ou parce qu’il tenait encore à l’existence des perroquets, avait trouvé la force de revenir sur les lieux de son péché préféré pour y retrouver substances et compagnons sans avoir à en payer le prix. Il cognait la porte sans ménagement, ivre de son discours aux petits Pierre en attendant de s’expliquer manu militari avec le grand.

Personne ne venait. La main de Dieu les retenait au lit ou sur leur cuvette. Les fenêtres demeuraient closes. Même le curé s’en tenait à ses masturbations inévitables quand on possède ce qu’il faut pour en jouir sans femme ni enfant. Marette était en train de menacer de casser tous les carreaux si on ne venait pas. Jim s’impatientait, mais sans précipitation. Dieu était aux manettes. On finirait bien par savoir pourquoi.

La Passion de Louis Marette (16)

 

CHAQUE SEMAINE

 

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La Passion de Louis Marette (16)

 

La Passion de Louis Marette (16)

Le vélo que Dieu avait attribué à Marette gisait dans l’herbe teintée de vert. La bagnole, en accordéon, embrassait encore son platane. Mais de Louis, pas de traces !

Jim fit plusieurs fois le tour des lieux désormais historiques et peut-être même saints. Les cadavres de verres jonchaient les allées adjacentes. Pas de traces non plus à l’intérieur de ces innombrables preuves de la faiblesse constitutive de l’édile. Une flaque de sang, rouge cette fois, finissait de disparaître dans la terre meurtrie à cet endroit de la mort par accident. « Si j’avais voulu le faire exprès, avait récemment affirmé le maire de Mazères, je ne l’aurais pas fait ! »

Déconcerté par tant de signes, le baptiste redressa la bicyclette et l’enfourcha. Elle gémit. Dieu y était pour quelque chose. Pédaler dans ces conditions n’est pas si simple pour l’esprit toujours en proie aux délices de l’existence même quand celle-ci n’a plus… d’existence. Mais Jim pédala. En l’absence de selle, il se tenait debout sur les pédales, très sportif mais aussi passablement affecté par sa condition d’éternel ressuscité.

Il ne connaissait pas Mazères. Il slaloma entre les crottes de chiens et les canettes vidées de leur substance par les compagnons de route de Louis Marette qui aime les chiens et les caresses. Il faudrait dire : aimait, car depuis ce matin, il n’appartenait plus au monde des vivants. Jim frissonna en pensant à ce mort qui ne vivait plus et pourtant saignait et buvait comme si rien ne lui était arrivé de grave et de définitif.

Non, pensa-t-il sans cesser de pédaler, je ne connais pas Mazères. Mais qui connaît Mazères ? Sans doute personne à part ses électeurs et les fournisseurs de denrées spiritueuses. Comme le soleil tardait à se lever, sans doute selon la volonté de Dieu lui-même qui avait ses raisons, Jim prit le temps de patrouiller dans les rues désertes. On eût dit que tout le monde était mort… En effet, peut-on concevoir Mazères sans Marette ?

La Passion de Louis Marette (15)

 

CHAQUE SEMAINE

 

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La Passion de Louis Marette (15)

 

La Passion de Louis Marette (15)

Maintenant, ils sont à l’intérieur. Le carreau brisé répand sa lumière dans ce qui reste du rideau. Jim, assis en face du baron, regarde les tuyaux. On entend un robinet. Les gouttes semblent remplir un contenant qui peut être un verre ou autre chose. Le baron fume un cigare qui grésille. Il avale sa salive à intervalle régulier. Une ampoule éclaire la table. Celle-ci est couverte d’un tapis de jeu. Les cartes sont éparpillées sans ordre. On ne peut deviner ce qui s’est joué. Deux verres s’ajoutent aux deux autres, ceux que Jim et son hôte étreignent comme si la conversation n’avait pas de sens. Puis la voix du baron traverse le silence de part en part.

« Je ne suis pas un sycophante… dit-il comme s’il éprouvait le désir de l’être.

— Je comprends… dit Jim Morrison sans y croire.

— Je n’ai jamais trahi personne, continue le baron. En tout cas pas de cette façon. Je vais toujours droit au but. Je ne me soucie pas de morale. Un chat est un chat. Chaque chose a sa place si cette place est faite pour la contenir et lui donner un sens.

— Je comprends… répète Jim. Mais…

— Mais il manque deux personnages à votre Comedia… Je connais cette angoisse… Mais voyez-vous (la voix du baron s’adoucit) je n’ai jamais trahi personne… Surtout si la Justice est à l’écoute… Et elle l’est ! »

Il donna du poing sur la table. Les objets, têtus comme des mules, sautèrent en l’air mais retombèrent exactement à la place qui était la leur, respectivement. Jim nota cet entêtement avec compassion. Il essuya une larme qui n’échappa pas à la vigilance opiniâtre du baron. Il se dit : C’est foutu… Je vais me faire engueuler… et la mort de Marette ne servira à rien… En vérité, c’était une mort programmée en dernière minute. Jim ignorait de quelle minute il s’agissait. Le baron, soupçonnant un coup monté en haut lieu, se retint de tout commentaire. Il écrasa le cigare qui prit la forme d’un petit personnage persécuté par le feu couvant en lui. La fumée, extraite par on ne sait quelle puissance terrestre, s’éleva dans l’air agité d’insectes et de brises nocturnes. Jim finit par poser sa tête sur la table, délicatement. Le baron s’étonna.

« Pour tout dire, psalmodia-t-il, ce n’est pas un, ni deux, ni même (il compta sur ses doigts boudinés) vingt et quelques qui manquent à l’appel. La nature se mêle de société, sinon je n’existe plus. Et c’est bien sûr l’esprit de félonie qui caractérise et rend possible l’existence de la classe politique. Je ne vous apprends rien…

— (geste de lassitude de la part de Jim qui, la tête sur la table, semble attendre le couperet)

— Si je vous disais tout ce que je sais (et que je tiens des meilleures langues de vipère de la cité) vous n’auriez que l’embarras du choix…

— Deux noms suffiraient cependant…

— Qu’ils ne sortent pas de ma bouche ! Les complices de l’hypocrisie environnante ne sont que de commodes personnages secondaires. L’un remplace l’autre. Et s’il en vient à manquer, la Comedia (la mienne cette fois) ne s’en ride pas.

— Vous ne me facilitez pas la tâche, murmura Jim dans ses bras croisés.

— Renseignez-vous…

— Mais c’est ce que je tente auprès de vous, maître… !

— Je ne suis pas votre homme. Voilà tout. »

Ainsi prit fin la conversation entre le remarquable poète américain et le troubadour des temps difficiles, en cette nuit mémorable de la mort de Louis Marette, platane inclus. Jim cachait son visage. Le baron ne sut pas pourquoi. Et raccompagnant son visiteur sur le seuil de sa porte, il imagina toutes sortes de scénarios pour expliquer ce masque. Il referma la porte et se plongea aussitôt dans un texte, fébrile et rapide, car il craignait d’en perdre la moindre miette. Et pendant ce temps, entre le seuil de la maison et la grille de fer forgé (par on ne sait qui, mais on s’en doute) Jim franchit la distance qui sépare toujours les apparences de la réalité. Il s’arrêta même pour se laisser prendre aux pièges de cette réflexion commencée au cœur même de la conversation qui n’avait pas eu lieu, au fond. Il poussa la grille et remonta sur sa bicyclette. Un chien le suivit, peut-être celui du baron. Qui sait ce qu’un tel baron accroche à vos basques dès lors que vous venez de lui donner une idée qu’il se promet d’explorer sans vous et sans reconnaissance de votre utilité. Jim avait beau être mort et ressuscité, il n’avait pas le pouvoir d’entrer dans la peau d’un pareil personnage. Une fois de plus, Dieu s’était trompé en voulant en savoir plus sur la manière de construire une histoire qui tînt debout. Et pour la nuit des temps.

 

La Passion de Louis Marette (14)

 

CHAQUE SEMAINE

 

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Suite du Perroquet de Louis Marette

 

La Passion de Louis Marette (14)

 

La Passion de Louis Marette (14)

Abandonnant Marette à ses polarités antagonistes mais pas contradictoires, Jim Morrison enfourcha la bicyclette, prenant grand soin de ne pas se laisser enculer par elle car Marette avait équipé le support de la selle d’un système de transmission du plaisir à distance. Ce système était dans le tube et non pas dans la selle. On se souvient que Marette, par un pincement extrême des muscles fessiers, avait éjecté cet inutile instrument pour donner à son sphincter anal tout le champ nécessaire à une extirpation complète des ressources jubilatoires du cadre. Aussitôt que le baptiste eût exposé son saint anus aux explorations des détecteurs de merde, lesquels agissaient donc à une distance respectable, Marette se roula dans l’herbe sans ménager l’expression de son plaisir distant. Dès que Jim l’eût perdu de vue, il pensa à autre chose, prenant soin toutefois de ne pas s’empaler suite à un excès de confiance dans ses possibilités cyclosportives.

Le baron de La Rubanière logeait en sa maison sise dans une rue de Mazères. Jim n’eut donc aucune difficulté à en trouver le chemin. Il ne se pressa pas. Cette nuit était sans fin. Dieu garantissait cette clause du contrat évangélique. Et Jim avait confiance en Dieu. Il pédala sans effort, preuve que Dieu pratiquait la poussette en toute discrétion, car il ne voyait pas Dieu, il ne voyait que la route et ses maisons endimanchées. Jim aimait la nuit, quelle que fût sa profondeur. Il aimait autant les nuits sans fond que celles qui laissent deviner le jour. Chaque nuit possède son degré de transparence relativement à sa capacité à cacher ce qui ne peut ou ne doit pas se savoir. Il accéléra pourtant à l’approche de la rue du baron. Le portail de fer forgé ruisselait de nuit, signe qu’il lui appartenait. Comme toute chose en ce monde d’ailleurs, mais il y a deux manières d’être possédé : la bonne et l’incertaine. Mais trêve de relation philosophique. Jim rangea sa bicyclette contre la grille et sonna. Aussitôt, des raies de lumières excitèrent les pourtours d’une fenêtre fermée par un volet. Puis cette même lumière, toute triviale, se jeta sur le baptiste qui recula.

« Qui va là ? » grogna une voix sépulcrale.

Jim avala sa sainte salive comme s’il vidait un verre offert par Louis Marette dans un cadre toutefois plus convivial et complice.

« Je suis Jim Morrison… Nous nous sommes rencontrés à Paris il y a… longtemps…

— En effet… reconnut la voix du baron. Mais à l’époque, vous n’étiez pas un ange… si je ne m’abuse maintenant que mes jours sont plus comptés que comptants… Ne comptez pas cependant entrer dans ma tanière… Je ne suis pas seul.

— Oh ! Loin de moi l’idée de vous déranger…

— Qu’est-ce qui vous amène donc… ?

— Des noms… maître… Dieu…

— Je me fiche de Dieu comme du reste ! beugla le baron dans sa lumière.

— Je le sais bien, ô maître… Dieu pourtant…

— Dieu jamais ! »

Le poing dostoïevskien du baron souleva un nuage de poussière entre deux pots de géraniums. Des moustiques zigzaguèrent, fluorescents et véloces. Jim se frotta le menton en signe d’impatience. Le baron, qui était bonhomme, s’immobilisa dans l’attitude de celui qui s’attend à recevoir sans intention de donner.  L’aristocrate critique de la vie mazèrienne ne connaissait pas d’autres tactiques. Il ne donnait pas, mais il envoyait. Jim le connaissait de longue date, bien que la mort les séparât.

« Il s’agit, commença-t-il, de deux traîtres nécessaires à la Comedia que j’ai entrepris de construire à la demande de…

— Ne me dis pas son nom ! rugit le baron, mais cette fois avec un clin d’œil complice.

— Certes, certes… ! D’ailleurs peu importe le sien puisque je suis l’auteur… sans vouloir vous offenser, ô maître…

— Continue…

— Il s’agit donc de Pierre et de Judas, dans le désordre… Ma connaissance…

— Parle-moi plutôt d’agir, moraliste !

— Mais c’est moi l’auteur… rouspéta sans violence le baptiste.

— Soit… Ta connaissance, donc…

— Ma connaissance du terrain est… comment dirai-je… non point succincte car je vous ai lu… (attendant la réaction probable du baron) Sommaire sans doute, car je n’habite pas ici depuis que ma résidence m’a été désignée par…

— Trêve de circonvolutions ! Parle ou je m’enferme ! Que veux-tu savoir que je sais forcément… ?

— Ben… Qui est Pierre… ?

— Et qui est Judas ? (le baron se frotte lui aussi le menton) Je vois… Le voilà encore en quête d’une incarnation…

— Oh… Je ne sais pas… Marette incarnant… Non… IL vaut mieux que ça…

— Mais pourquoi pas… ? Ton dieu est un pitre, comme tous les dieux. Je me demande maintenant qui est l’auteur de cette pitrerie…

— Comme vous y allez, maître ! Permettez-moi de…

— Mais après tout peu importe qui vient se dandiner sur mes propres terres… La pêche à la branlette a ses adeptes… Il faudra bien le saouler…

— Mais, ô maître, il… il est mort ! »

À cette annonce, le baron repoussa les battants de sa fenêtre qui produisit un bruit de verre qu’on brise. Le volet lui-même alla claquer comme si le vent d’autan se levait en même temps que la voix de stentor du baron exprimait une colère de plagié. Jim craignit le pire.

 

La Passion de Louis Marette (13)

 

CHAQUE SEMAINE

 

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La Passion de Louis Marette (13)

 

La Passion de Louis Marette (13)

Pendant que Marette se mélangeait les pinceaux dans les couleurs du prisme lithologique, Jim Morrison méditait, les coudes sur le guidon et le derrière en suspension dans l’air saturé de molécules vertes. Marette tendait une de ses oreilles, car son esprit n’était pas tranquille. Il avait comme l’impression de sortir d’une cure de désintoxication mais sans en sortir plus loin que la porte. Il avait une main sur le chambranle. L’autre interrogeait un éclat de verre dont la transparence était traversée de fissures vertes. Il éprouvait le désir de reconnaître qu’il ne lui était pas facile de se servir de ses deux oreilles en même temps, surtout que l’une ne s’intéressait pas à la même chose que l’autre, un peu comme il est difficile de concilier les intérêts de la République et ceux de l’individu. D’un côté, à droite comme à gauche, l’infinitude du prisme contenu entre le blanc et le noir, et de l’autre le discours peu signifiant mais prégnant des mâchoires du baptiste qui, pour peu qu’on y crût, conversait avec Dieu lui-même. Et comme l’édile n’avait rien à se mettre dans le cul, vu que ledit baptiste occupait le guidon et ses perspectives, ce conflit d’intérêts peut-être divergeant commençait à le fatiguer. Son cul, il le posa dans l’herbe verte et, par une série de contractions du périnée. il réussit à se donner l’illusion qu’il était accoudé au comptoir et qu’il en vidait les contenus sans se soucier des origines de tant de palliatifs de la soif.

Un passant qui eût emprunté la route de Mazères à Saverdun n’eût pas manqué de se poser autant de questions que ce tableau en posait, platane compris. Mais personne ne passa. Personne n’assista à l’attente de Marette ni à la passion que le baptiste retournait contre Dieu. Car, en effet, la suite de cette péripétie municipale nécessitait l’introduction de deux traîtres pour alimenter le théâtre de climax dignes de l’intention de l’auteur qui n’était autre, on s’en doute, que Dieu lui-même. En cas de confusion liée à l’absence de ces deux personnages clés de la Passion, Jim Morrison eût éprouvé la tentation du suicide. Dieu se chargeait d’éclaircir l’esprit inquiet du baptiste, heureusement !

« C’est que la métaphore est ardue, dit-il sur un ton tragiquement perçu par Jim. Le perroquet n’est autre que le petit Pierrot, autrement dit Pierre enfant. C’est éthylique !… heu… ! étymologique. Quant à Judas, c’est sur ta porte que j’en pratique l’optique.

— C’est compliqué ! Oh que c’est compliqué ! s’écria Jim Morrison en se tenant la tête dans les mains car il la secouait en même temps.

— C’est mon piment, déclara Dieu. Tu n’es pas censé y mettre du tien. Je ne t’ai pas demandé de réfléchir à ma place. Tu dois faire exactement ce que je te commande de faire (il jette un œil sur Marette qui semble succomber aux efforts contradictoires de ses oreilles.) Celui-là n’est pas plus con qu’un autre.

— C’est vrai ! fit le baptiste jubilant. Ils se ressemblent tous.

— Je le dis, en vérité : « Ici, peu de schizos, beaucoup de paranos et surtout énormément de cons. » Et je n’en dis pas plus… du moins pour l’instant.

— Mais où trouver Pierre et Judas ?

— D’ordinaire, cette recherche est laissée à l’idiosyncrasie du lecteur… Libre à lui de désigner les traîtres nécessaires à la conclusion de la comédie municipale. Mais les temps ne sont plus favorables à ces exercices de la pensée. Le citoyen, toujours ordinaire sinon il devient incivique par agissement contradictoire, ne possède plus les outils utiles à l’analyse des faits, surtout si on lui demande de participer à leur élection. Aussi ai-je renoncé à la science et lui ai-je substitué les pratiques de la publicité et de la propagande. Le cerveau du commun des mortels, tout à l’assaut de ses désirs simplistes, ne comprend plus nos saintes cacozélies. Aussi est-il judicieux de mettre les pieds dans le plat sans se soucier des domestiques chargés de la protection des notables.  J’en connais un qui ne voit jamais d’inconvénient à appeler un chat un chat. Voici sa carte.

— (consultant la carte) Mais c’est… mais c’est un…

— Matérialiste, oui ! »

La Passion de Louis Marette (12)

 

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La Passion de Louis Marette (12)

 

La Passion de Louis Marette (12)

Marette se couche. Il se coupe partout à cause du vert cassé. Il saigne ici et là. Ce rouge l’angoisse. À l’époque, quand il vivait, ça commençait par le bleu, celui du Ciel, et après un passage à blanc, il voyait rouge. Il n’avait pas encore rencontré de perroquets en vente libre. Il y en avait, mais il fallait les importer des Colonies. Alors, genoux en terre, et vêtu de blanc, la couleur de la virginité, il buvait au calice le rouge sang de la patrie en goguette africaine. Il faisait comme tout le monde. Il buvait ce qu’il y avait à boire. Tout le monde faisait ça sans rouspéter. On trinquait avec des croix rouges de sang. Les vignerons se marraient. L’État se marrait. Les services de désintoxication aussi, qui se gardaient bien de désintoxiquer. Alors… comment c’est que le vert s’est imposé à Marette comme la couleur des jours, les bons comme les mauvais ? D’aucuns affirment que c’est en discourant qu’il avala un perroquet pour montrer de quoi il était capable si les écolos continuaient d’agir sur ses terrains de chasse pourtant gardés par d’autres salauds sartriens, sachant toutefois que le vert est pédant. Je bois du pédant, dit le salaud, et je m’en porte mieux, devint la devise du futur Sauveur… Sauveur de quoi ? On le saura bientôt. Voilà pour la première interprétation du vert marette qui figure maintenant dans notre palette de peintre des mœurs françaises agissant en terre occitane.

Une autre interprétation fait allusion au daltonisme… Mais cette supputation erratique ne tient pas la route. En effet, si Marette eût perçu le rouge comme vert à l’époque colonialiste, comment expliquer qu’ensuite il vit le perroquet vert et non pas rouge ? L’achromatopsie ne vaut pas plus cher. Laissons tomber les hypothèses somatiques et concentrons notre étude sur le cerveau de cet individu représentatif du bas de l’échelle électorale. Affirmons sans plus de doute que Marette voit vert quand c’est vert et rouge quand il est daltonien, ce qui lui arrive quelquefois, reconnaissons-le, car son jugement en matière humaine est faussé par sa nostalgie de l’ancien régime.

Il n’empêche que quand il se coupe, ça saigne rouge et non pas vert comme le prétendent les mauvaises langues de l’opposition qui saigne vert uniquement par rhétorique, ce qui est un comble à l’époque moderne. Mais de là à prétendre que Loulou est moderne, il y a loin.

Or, couché dans le vert de ses propres tessons et distinguant parfaitement le cul du goulot, Marette saignait rouge. Mais qu’il saignât de cette couleur n’est pas le plus étonnant (étonnant : miraculeux.) A-t-on assisté à un saignement qui ne fût pas rouge ? Jamais. Par contre, a-t-on déjà vu un mort saigner ? Jamais. Deux évidences qui confirment la thèse selon laquelle il n’y a pas de miracle sans Dieu. Or, Marette saignait rouge et il était mort. Jim Morrison rouvrit son carnet de notes où figuraient aussi les réponses aux questions embarrassantes relatives au fait religieux considéré comme une réponse à toutes les questions. Il pâlit : aucune réponse à la question que l’état de Marette posait à l’esprit en proie à l’angoisse des profondeurs métaphysiques. Il questionna le mort :

« Louis, commença-t-il alors qu’il avait la gorge nouée par la perspective évangélique, es-tu bien mort… ?

— Hé bé que si j’en crois l’état de ma dépouille, constata le maire de Mazères désormais en ballotage, je ne peux pas me dire vivant. Mais si j’en crois mon sang, je suis vivant. Je me demande si je respire encore…

— Aucun signe de respiration sur le miroir…

— La méthode est ancienne…

— Mais ton corps, ô Louis le Vert…

— Le Vert-Galant si c’est permis par la Curée…

— Le Vert-M’allant, dit la Prophétie…

— (se penchant sur le petit carnet) Hé merde ! À une lettre près…

— Revenons à nos moutons…

— (citant) « Je suis vivant et vous êtes morts… »

— Ce sang qui coule fait de toi un vivant… Sa couleur annonce…

— Que je vais me remettre au rouge sans daltonisme… »

La Passion de Louis Marette (11)

 

CHAQUE SEMAINE

 

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La Passion de Louis Marette (11)

 

La Passion de Louis Marette (11)

Mais le baptiste est têtu. Il en a une à placer, directement inspirée par les hautes instances du Ciel… qui deviendra vert si Dieu le veut. Et si jamais il le veut, Marette ne manquera de rien… jusqu’à atteindre sa destination, pense Jim Morrison en baissant la tête pour regarder ses pieds qui le mènent il sait bien trop où en compagnie d’un compagnon des servitudes et de leurs supposées grandeurs. Il la place :

« Je me répète peut-être, ahane-t-il, mais je suis venu pour ça… en espérant ne pas y rester… parce que la dernière fois j’en ai perdu la tête…

— L’avantage avec les perroquets, c’est qu’ils se ressemblent tous… titube Marette dans son herbe. Je sais pas s’ils sont de la même famille, mais le vert leur est commun comme le drapeau à la nation… répète voir un peu, Jimmy…

— Je disais que le retour du Sau…

— Tu ne vas pas recommencer !

— Il le faut bien si je me répète…

— Mais les perroquets ne recommencent pas… !

— Et qu’est-ce qu’ils font alors pour rester perroquets… ?

— Hé bé té ! Ils continuent !

— Justement dit ! Car si je continue ce que j’ai commencé…

— « le retour du sot… heu… du seau… »

— J’en viendrais à dire…

— À répéter… ! Il n’y a pas de religion sans répétition… Tout recommence et ça continue…

— Le retour du Sauveur est…

— Du Sauveur ? Moi ? »

Marette s’arrête, éberlué par son image reflétée dans les perroquets vides qui jalonnent son chemin de croire.

« Moi ? Sauveur ? Et mon père qui prétendait que j’étais bête comme mes pieds et méchant comme la teigne ! »

Il rejette ses genoux dans le vert de l’herbe et des transparences.

« Je ne le serais donc plus !

— Il n’y a pas de Sauveur qui le soit…

— Le vert m’a donc purifié…

— Il le faut bien, sinon la Prophétie n’en est plus une…

— Je suis tombé dans un perroquet quand j’étais petit ! »

Marette sautille sur son propre corps…

Note : N’oublions pas en effet qu’il est mort, enchevêtré maintenant dans la carcasse platanisée de sa voiture. Le présent récit exploite toutes les possibilités narratives de ce double plan : la vie, où il est mort ; et la mort, où il est sauvé… à défaut d’être vivant. L’auteur se place dans cette perspective, sorte de miroir qui se regarde lui-même et… voit ce qu’il voit. Passons…

« Et revenons à nos moutons, dit le baptiste anglo-saxon.

— Papa a bien fait de me l’envoyer cette tord-gnole…

— Le ciel était bleu et le perroquet vert…

— J’en fais mon drapeau, comme saint Jean les sardines…

— Je vois… le perroquet se boit bien frais…

— Sinon il ne réchauffe pas… »

Disant cela, Marette fait un saut. Puis il met le pied dans un seau et frappe ce sceau dans l’herbe. Il constate :

« C’est pas sot… Constate par toi-même, ô Baptiste…

— Je sais déjà tout… »

À ces mots, Marette devient rose. Il craint aussitôt d’ajouter cette couleur à son drapeau.

« Dis-moi tout ! couine-t-il. Je veux savoir…

— Tout le monde le sait… Même les musulmans le savent…

— Et moi qui n’en sais rien… !

— As-tu été au catoche… ?

— Je l’ai même fini ! D’un trait ! Cul…

— Et bien ça recommence…

— Mais comment ça commence… ?

— Un platane… enfin… un truc en bois…

— Un truc en boa… Zizi !

— Non ! Pas en plumes ! Et puis…

— Et puis…

— Tes seules femmes seront l’une ta sainte mère (pas l’autre) et l’autre une pute…

— (soulagé) Ah ! Je baise encore ! Ça faisait longtemps…

— Tu confonds perroquet et viagra… C’est pas bon les mélanges…

— Pas de mélange… ? Je comprends plus rien à ta prophétie, Baptiste… »