La Passion de Louis Marette (17)

 

CHAQUE SEMAINE (ou presque)

La suite des aventures de Louis Marette se fait «désirer»… C’est que votre serviteur est en ce moment même très occupé par l’édition des travaux de Pascal Leray dans la RALM : [Nº 102]. Voir aussi [Génèse des séries]. Travail éditorial considérable et passionnant… Pour ceux que la littérature française intéresse…

ralm

La revue littéraire de Mazères
[CONTACT]

oOo

FEUILLETON MUNICIPAL A SUIVRE SUR LE SITE DE PATRICK CINTAS :
Suite du Perroquet de Louis Marette

 

La Passion de Louis Marette (17)

 

La Passion de Louis Marette (17)

En attendant de répondre à cette question canonique, Jim se servait de ses yeux pour fouiller du regard les coins les plus obscurs de ce village trop catholique pour être le siège divin de l’honnêteté et pas assez cultivé pour en répondre avec toute la sincérité qui en principe s’impose aux candidats à l’éternité. Les ombres étaient noires et le ciel… fuligineux.

Marette ayant choisi d’aller à pied, Jim pensa qu’il finirait par le trouver à proximité d’un débit de boisson. Or, c’est ce qui se passa : Marette frappait en ce moment même à la porte d’un établissement sous licence. Mais elle était fermée. Jim se dissimula dans une de ces ombres non sans en avoir exploré la profondeur à l’aide de sa torche divine. Elle n’était pas habitée, ni par un chien en quête d’un coin tranquille pour se livrer à ses habitudes, ni par son être humain quelquefois surpris en cours de vomissement.

Jim craignait que le raffut occasionné par Marette finît par réveiller une population pourtant endormie par volonté et calcul divin. Il avait confiance en Dieu, mais avec Marette, cette confiance avait des limites que le baptiste ne tenait pas à franchir sans garanties. Il se tint immobile et coi pendant que le maire de Mazères réclamait son dû. En principe, les morts oublient ce qu’ils ont été et leurs revendications n’ont rien de personnel : ils se joignent au troupeau céleste sans demander leurs restes. Alors la question se posait : Louis Marette était-il mort ? Ou mieux dit encore : À quel jeu jouait le bon Dieu ? Ça devenait compliqué. Jim s’efforçait de s’en tenir à ses obligations de travailleur forcé, mais son esprit voulait savoir. Il en concevait même des couplets qui, si Dieu le décidait, deviendraient des chansons. Marette savait-il jouer d’un instrument qui ne fût pas plein… ?

En attendant de répondre à sa propre attente, Jim était condamné à observer le comportement post-mortem de Louis Marette qui, par volonté divine ou parce qu’il tenait encore à l’existence des perroquets, avait trouvé la force de revenir sur les lieux de son péché préféré pour y retrouver substances et compagnons sans avoir à en payer le prix. Il cognait la porte sans ménagement, ivre de son discours aux petits Pierre en attendant de s’expliquer manu militari avec le grand.

Personne ne venait. La main de Dieu les retenait au lit ou sur leur cuvette. Les fenêtres demeuraient closes. Même le curé s’en tenait à ses masturbations inévitables quand on possède ce qu’il faut pour en jouir sans femme ni enfant. Marette était en train de menacer de casser tous les carreaux si on ne venait pas. Jim s’impatientait, mais sans précipitation. Dieu était aux manettes. On finirait bien par savoir pourquoi.

La Passion de Louis Marette (16)

 

CHAQUE SEMAINE

 

FEUILLETON MUNICIPAL A SUIVRE SUR LE SITE DE PATRICK CINTAS :
Suite du Perroquet de Louis Marette

 

La Passion de Louis Marette (16)

 

La Passion de Louis Marette (16)

Le vélo que Dieu avait attribué à Marette gisait dans l’herbe teintée de vert. La bagnole, en accordéon, embrassait encore son platane. Mais de Louis, pas de traces !

Jim fit plusieurs fois le tour des lieux désormais historiques et peut-être même saints. Les cadavres de verres jonchaient les allées adjacentes. Pas de traces non plus à l’intérieur de ces innombrables preuves de la faiblesse constitutive de l’édile. Une flaque de sang, rouge cette fois, finissait de disparaître dans la terre meurtrie à cet endroit de la mort par accident. « Si j’avais voulu le faire exprès, avait récemment affirmé le maire de Mazères, je ne l’aurais pas fait ! »

Déconcerté par tant de signes, le baptiste redressa la bicyclette et l’enfourcha. Elle gémit. Dieu y était pour quelque chose. Pédaler dans ces conditions n’est pas si simple pour l’esprit toujours en proie aux délices de l’existence même quand celle-ci n’a plus… d’existence. Mais Jim pédala. En l’absence de selle, il se tenait debout sur les pédales, très sportif mais aussi passablement affecté par sa condition d’éternel ressuscité.

Il ne connaissait pas Mazères. Il slaloma entre les crottes de chiens et les canettes vidées de leur substance par les compagnons de route de Louis Marette qui aime les chiens et les caresses. Il faudrait dire : aimait, car depuis ce matin, il n’appartenait plus au monde des vivants. Jim frissonna en pensant à ce mort qui ne vivait plus et pourtant saignait et buvait comme si rien ne lui était arrivé de grave et de définitif.

Non, pensa-t-il sans cesser de pédaler, je ne connais pas Mazères. Mais qui connaît Mazères ? Sans doute personne à part ses électeurs et les fournisseurs de denrées spiritueuses. Comme le soleil tardait à se lever, sans doute selon la volonté de Dieu lui-même qui avait ses raisons, Jim prit le temps de patrouiller dans les rues désertes. On eût dit que tout le monde était mort… En effet, peut-on concevoir Mazères sans Marette ?

La Passion de Louis Marette (15)

 

CHAQUE SEMAINE

 

FEUILLETON MUNICIPAL A SUIVRE SUR LE SITE DE PATRICK CINTAS :
Suite du Perroquet de Louis Marette

 

La Passion de Louis Marette (15)

 

La Passion de Louis Marette (15)

Maintenant, ils sont à l’intérieur. Le carreau brisé répand sa lumière dans ce qui reste du rideau. Jim, assis en face du baron, regarde les tuyaux. On entend un robinet. Les gouttes semblent remplir un contenant qui peut être un verre ou autre chose. Le baron fume un cigare qui grésille. Il avale sa salive à intervalle régulier. Une ampoule éclaire la table. Celle-ci est couverte d’un tapis de jeu. Les cartes sont éparpillées sans ordre. On ne peut deviner ce qui s’est joué. Deux verres s’ajoutent aux deux autres, ceux que Jim et son hôte étreignent comme si la conversation n’avait pas de sens. Puis la voix du baron traverse le silence de part en part.

« Je ne suis pas un sycophante… dit-il comme s’il éprouvait le désir de l’être.

— Je comprends… dit Jim Morrison sans y croire.

— Je n’ai jamais trahi personne, continue le baron. En tout cas pas de cette façon. Je vais toujours droit au but. Je ne me soucie pas de morale. Un chat est un chat. Chaque chose a sa place si cette place est faite pour la contenir et lui donner un sens.

— Je comprends… répète Jim. Mais…

— Mais il manque deux personnages à votre Comedia… Je connais cette angoisse… Mais voyez-vous (la voix du baron s’adoucit) je n’ai jamais trahi personne… Surtout si la Justice est à l’écoute… Et elle l’est ! »

Il donna du poing sur la table. Les objets, têtus comme des mules, sautèrent en l’air mais retombèrent exactement à la place qui était la leur, respectivement. Jim nota cet entêtement avec compassion. Il essuya une larme qui n’échappa pas à la vigilance opiniâtre du baron. Il se dit : C’est foutu… Je vais me faire engueuler… et la mort de Marette ne servira à rien… En vérité, c’était une mort programmée en dernière minute. Jim ignorait de quelle minute il s’agissait. Le baron, soupçonnant un coup monté en haut lieu, se retint de tout commentaire. Il écrasa le cigare qui prit la forme d’un petit personnage persécuté par le feu couvant en lui. La fumée, extraite par on ne sait quelle puissance terrestre, s’éleva dans l’air agité d’insectes et de brises nocturnes. Jim finit par poser sa tête sur la table, délicatement. Le baron s’étonna.

« Pour tout dire, psalmodia-t-il, ce n’est pas un, ni deux, ni même (il compta sur ses doigts boudinés) vingt et quelques qui manquent à l’appel. La nature se mêle de société, sinon je n’existe plus. Et c’est bien sûr l’esprit de félonie qui caractérise et rend possible l’existence de la classe politique. Je ne vous apprends rien…

— (geste de lassitude de la part de Jim qui, la tête sur la table, semble attendre le couperet)

— Si je vous disais tout ce que je sais (et que je tiens des meilleures langues de vipère de la cité) vous n’auriez que l’embarras du choix…

— Deux noms suffiraient cependant…

— Qu’ils ne sortent pas de ma bouche ! Les complices de l’hypocrisie environnante ne sont que de commodes personnages secondaires. L’un remplace l’autre. Et s’il en vient à manquer, la Comedia (la mienne cette fois) ne s’en ride pas.

— Vous ne me facilitez pas la tâche, murmura Jim dans ses bras croisés.

— Renseignez-vous…

— Mais c’est ce que je tente auprès de vous, maître… !

— Je ne suis pas votre homme. Voilà tout. »

Ainsi prit fin la conversation entre le remarquable poète américain et le troubadour des temps difficiles, en cette nuit mémorable de la mort de Louis Marette, platane inclus. Jim cachait son visage. Le baron ne sut pas pourquoi. Et raccompagnant son visiteur sur le seuil de sa porte, il imagina toutes sortes de scénarios pour expliquer ce masque. Il referma la porte et se plongea aussitôt dans un texte, fébrile et rapide, car il craignait d’en perdre la moindre miette. Et pendant ce temps, entre le seuil de la maison et la grille de fer forgé (par on ne sait qui, mais on s’en doute) Jim franchit la distance qui sépare toujours les apparences de la réalité. Il s’arrêta même pour se laisser prendre aux pièges de cette réflexion commencée au cœur même de la conversation qui n’avait pas eu lieu, au fond. Il poussa la grille et remonta sur sa bicyclette. Un chien le suivit, peut-être celui du baron. Qui sait ce qu’un tel baron accroche à vos basques dès lors que vous venez de lui donner une idée qu’il se promet d’explorer sans vous et sans reconnaissance de votre utilité. Jim avait beau être mort et ressuscité, il n’avait pas le pouvoir d’entrer dans la peau d’un pareil personnage. Une fois de plus, Dieu s’était trompé en voulant en savoir plus sur la manière de construire une histoire qui tînt debout. Et pour la nuit des temps.

 

La Saga de Louis Marette, Tartarin ou Tribulat, dit aussi « Marette de Mazères »

Après une interruption due à d’autres travaux (RALM
le seul site littéraire mazèrien), la "Saga de Louis Marette" reprend le chemin de l’écriture et de la publication.

Depuis quelques années déjà, et avec un succès grandissant, Louis Marette, nouveau Tartarin ou Tribulat, personnage de roman pas si éloigné que ça de son modèle, connaît un corpus au volume remarquable par son ampleur et sa diversité. Œuvre de littérature mise au service de la République et de ses fins connaisseurs, l’ensemble est scrupuleusement et fièrement composé à la fois pour divertir et pour informer. Qu’on en juge sur pièces :

Un corpus journalistique de type satirique comprenant près de 200 articles et autant d’illustrations comiques : MCM, le journal satirique de Mazères, ici présent.

https://mazeres09.wordpress.com/

Une tétralogie théâtrale, dix ou douze heures de spectacle selon les moyens: Mazette et Cantgetno.

http://www.ral-m.com/revue/spip.php?rubrique1085

Un roman non moins spectaculaire autant par son contenu que par sa forme originale: Les Huniers.

http://www.ral-m.com/revue/spip.php?rubrique1108

Et en ce moment même, en feuilleton toujours fidèle aux rendez-vous, Le Voyage en Hypocrinde de Louis Marette. Un premier épisode, Le Perroquet de Louis Marette, est achevé. Le deuxième, La Passion de Louis Marette, est en cours. Un troisième suivra dès l’an prochain. Le tout formant roman, cela va sans dire. Voir ci-dessous.

Cette entreprise ne vise nullement à "démolir" un élu considéré comme le parangon du ridicule et de l’hypocrisie des pratiques politiques du trou du cul de la France. Il s’agit bel et bien d’une œuvre de littérature toute dédiée à alimenter la base des données littéraires françaises et plus
particulièrement républicaines. Certes, cette ambition peut paraître démesurée et elle-même frappée du sceau du grotesque propre à toute entreprise de dimension nationale. Mais qui ne tente rien n’a rien. La pauvreté artistique et littéraire du corpus même des "associations" mazèriennes en
témoigne assez, je crois. Il me semble que le service rendu à la patrie est ainsi plus honorable que toute boutique mise au service des intérêts particuliers que la politique se charge en principe de soutenir sans autre conception de l’honneur
ni de la dignité.

Moins excessive toutefois est cette peine dès qu’il s’agit de la rattacher à un plus vaste projet qui constitue le travail de toute une vie, à savoir Le Voyage de Télévision dont l’hypertexte éditorial est disponible sur la Toile:
http://www.ral-m.com/television. Louis Marette y a sa place, comme les autres personnages de cette aventure terrestre menée tambour battant contre vents et marées aux antipodes des goguettes qui nourrissent trop souvent le soi-disant sentiment patriotique et ce devoir de mémoire qui ne doit rien ni à l’art ni à l’honneur mais bien plutôt au pharisaïsme, au cagotisme et aux diverses affectations de la saloperie et du pédantisme.

Ainsi, Louis Marette, très ordinaire édile d’une France oubliée à Paris, ce royaume sis au coeur même de la République, Louis Marette côtoie les personnages d’une aventure littéraire dont il est possible de mesurer l’ampleur et la profondeur. Rien à voir avec les œuvrettes issues des "conseillers" et autres m’as-tu-vu des établissements culturels locaux. La seule revue littéraire digne de ce nom dans ce territoire est aussi, ce n’est pas un hasard, l’éditrice de cette invention phénoménale, entre autres travaux de dimension littéraire remarquable, la RALM : http://www.ral-m.com/revue.

La publication des épisodes de La Passion de Louis Marette reprendra la semaine prochaine aux alentours du jeudi et ainsi de suite.

(…quoiqu’il faille s’attendre à d’autres interruptions vu le travail entrepris dès 2018 sur les numéros 102 et 103 de la RALM, respectivement "Le catalogue du sériographe" de Pascal Leray et "Goruriennes" de Patrick Cintas…)

L.P.

 

La Passion de Louis Marette (14)

 

CHAQUE SEMAINE

 

FEUILLETON MUNICIPAL A SUIVRE SUR LE SITE DE PATRICK CINTAS :
Suite du Perroquet de Louis Marette

 

La Passion de Louis Marette (14)

 

La Passion de Louis Marette (14)

Abandonnant Marette à ses polarités antagonistes mais pas contradictoires, Jim Morrison enfourcha la bicyclette, prenant grand soin de ne pas se laisser enculer par elle car Marette avait équipé le support de la selle d’un système de transmission du plaisir à distance. Ce système était dans le tube et non pas dans la selle. On se souvient que Marette, par un pincement extrême des muscles fessiers, avait éjecté cet inutile instrument pour donner à son sphincter anal tout le champ nécessaire à une extirpation complète des ressources jubilatoires du cadre. Aussitôt que le baptiste eût exposé son saint anus aux explorations des détecteurs de merde, lesquels agissaient donc à une distance respectable, Marette se roula dans l’herbe sans ménager l’expression de son plaisir distant. Dès que Jim l’eût perdu de vue, il pensa à autre chose, prenant soin toutefois de ne pas s’empaler suite à un excès de confiance dans ses possibilités cyclosportives.

Le baron de La Rubanière logeait en sa maison sise dans une rue de Mazères. Jim n’eut donc aucune difficulté à en trouver le chemin. Il ne se pressa pas. Cette nuit était sans fin. Dieu garantissait cette clause du contrat évangélique. Et Jim avait confiance en Dieu. Il pédala sans effort, preuve que Dieu pratiquait la poussette en toute discrétion, car il ne voyait pas Dieu, il ne voyait que la route et ses maisons endimanchées. Jim aimait la nuit, quelle que fût sa profondeur. Il aimait autant les nuits sans fond que celles qui laissent deviner le jour. Chaque nuit possède son degré de transparence relativement à sa capacité à cacher ce qui ne peut ou ne doit pas se savoir. Il accéléra pourtant à l’approche de la rue du baron. Le portail de fer forgé ruisselait de nuit, signe qu’il lui appartenait. Comme toute chose en ce monde d’ailleurs, mais il y a deux manières d’être possédé : la bonne et l’incertaine. Mais trêve de relation philosophique. Jim rangea sa bicyclette contre la grille et sonna. Aussitôt, des raies de lumières excitèrent les pourtours d’une fenêtre fermée par un volet. Puis cette même lumière, toute triviale, se jeta sur le baptiste qui recula.

« Qui va là ? » grogna une voix sépulcrale.

Jim avala sa sainte salive comme s’il vidait un verre offert par Louis Marette dans un cadre toutefois plus convivial et complice.

« Je suis Jim Morrison… Nous nous sommes rencontrés à Paris il y a… longtemps…

— En effet… reconnut la voix du baron. Mais à l’époque, vous n’étiez pas un ange… si je ne m’abuse maintenant que mes jours sont plus comptés que comptants… Ne comptez pas cependant entrer dans ma tanière… Je ne suis pas seul.

— Oh ! Loin de moi l’idée de vous déranger…

— Qu’est-ce qui vous amène donc… ?

— Des noms… maître… Dieu…

— Je me fiche de Dieu comme du reste ! beugla le baron dans sa lumière.

— Je le sais bien, ô maître… Dieu pourtant…

— Dieu jamais ! »

Le poing dostoïevskien du baron souleva un nuage de poussière entre deux pots de géraniums. Des moustiques zigzaguèrent, fluorescents et véloces. Jim se frotta le menton en signe d’impatience. Le baron, qui était bonhomme, s’immobilisa dans l’attitude de celui qui s’attend à recevoir sans intention de donner.  L’aristocrate critique de la vie mazèrienne ne connaissait pas d’autres tactiques. Il ne donnait pas, mais il envoyait. Jim le connaissait de longue date, bien que la mort les séparât.

« Il s’agit, commença-t-il, de deux traîtres nécessaires à la Comedia que j’ai entrepris de construire à la demande de…

— Ne me dis pas son nom ! rugit le baron, mais cette fois avec un clin d’œil complice.

— Certes, certes… ! D’ailleurs peu importe le sien puisque je suis l’auteur… sans vouloir vous offenser, ô maître…

— Continue…

— Il s’agit donc de Pierre et de Judas, dans le désordre… Ma connaissance…

— Parle-moi plutôt d’agir, moraliste !

— Mais c’est moi l’auteur… rouspéta sans violence le baptiste.

— Soit… Ta connaissance, donc…

— Ma connaissance du terrain est… comment dirai-je… non point succincte car je vous ai lu… (attendant la réaction probable du baron) Sommaire sans doute, car je n’habite pas ici depuis que ma résidence m’a été désignée par…

— Trêve de circonvolutions ! Parle ou je m’enferme ! Que veux-tu savoir que je sais forcément… ?

— Ben… Qui est Pierre… ?

— Et qui est Judas ? (le baron se frotte lui aussi le menton) Je vois… Le voilà encore en quête d’une incarnation…

— Oh… Je ne sais pas… Marette incarnant… Non… IL vaut mieux que ça…

— Mais pourquoi pas… ? Ton dieu est un pitre, comme tous les dieux. Je me demande maintenant qui est l’auteur de cette pitrerie…

— Comme vous y allez, maître ! Permettez-moi de…

— Mais après tout peu importe qui vient se dandiner sur mes propres terres… La pêche à la branlette a ses adeptes… Il faudra bien le saouler…

— Mais, ô maître, il… il est mort ! »

À cette annonce, le baron repoussa les battants de sa fenêtre qui produisit un bruit de verre qu’on brise. Le volet lui-même alla claquer comme si le vent d’autan se levait en même temps que la voix de stentor du baron exprimait une colère de plagié. Jim craignit le pire.

 

La Passion de Louis Marette (13)

 

CHAQUE SEMAINE

 

FEUILLETON MUNICIPAL A SUIVRE SUR LE SITE DE PATRICK CINTAS :
Suite du Perroquet de Louis Marette

 

La Passion de Louis Marette (13)

 

La Passion de Louis Marette (13)

Pendant que Marette se mélangeait les pinceaux dans les couleurs du prisme lithologique, Jim Morrison méditait, les coudes sur le guidon et le derrière en suspension dans l’air saturé de molécules vertes. Marette tendait une de ses oreilles, car son esprit n’était pas tranquille. Il avait comme l’impression de sortir d’une cure de désintoxication mais sans en sortir plus loin que la porte. Il avait une main sur le chambranle. L’autre interrogeait un éclat de verre dont la transparence était traversée de fissures vertes. Il éprouvait le désir de reconnaître qu’il ne lui était pas facile de se servir de ses deux oreilles en même temps, surtout que l’une ne s’intéressait pas à la même chose que l’autre, un peu comme il est difficile de concilier les intérêts de la République et ceux de l’individu. D’un côté, à droite comme à gauche, l’infinitude du prisme contenu entre le blanc et le noir, et de l’autre le discours peu signifiant mais prégnant des mâchoires du baptiste qui, pour peu qu’on y crût, conversait avec Dieu lui-même. Et comme l’édile n’avait rien à se mettre dans le cul, vu que ledit baptiste occupait le guidon et ses perspectives, ce conflit d’intérêts peut-être divergeant commençait à le fatiguer. Son cul, il le posa dans l’herbe verte et, par une série de contractions du périnée. il réussit à se donner l’illusion qu’il était accoudé au comptoir et qu’il en vidait les contenus sans se soucier des origines de tant de palliatifs de la soif.

Un passant qui eût emprunté la route de Mazères à Saverdun n’eût pas manqué de se poser autant de questions que ce tableau en posait, platane compris. Mais personne ne passa. Personne n’assista à l’attente de Marette ni à la passion que le baptiste retournait contre Dieu. Car, en effet, la suite de cette péripétie municipale nécessitait l’introduction de deux traîtres pour alimenter le théâtre de climax dignes de l’intention de l’auteur qui n’était autre, on s’en doute, que Dieu lui-même. En cas de confusion liée à l’absence de ces deux personnages clés de la Passion, Jim Morrison eût éprouvé la tentation du suicide. Dieu se chargeait d’éclaircir l’esprit inquiet du baptiste, heureusement !

« C’est que la métaphore est ardue, dit-il sur un ton tragiquement perçu par Jim. Le perroquet n’est autre que le petit Pierrot, autrement dit Pierre enfant. C’est éthylique !… heu… ! étymologique. Quant à Judas, c’est sur ta porte que j’en pratique l’optique.

— C’est compliqué ! Oh que c’est compliqué ! s’écria Jim Morrison en se tenant la tête dans les mains car il la secouait en même temps.

— C’est mon piment, déclara Dieu. Tu n’es pas censé y mettre du tien. Je ne t’ai pas demandé de réfléchir à ma place. Tu dois faire exactement ce que je te commande de faire (il jette un œil sur Marette qui semble succomber aux efforts contradictoires de ses oreilles.) Celui-là n’est pas plus con qu’un autre.

— C’est vrai ! fit le baptiste jubilant. Ils se ressemblent tous.

— Je le dis, en vérité : « Ici, peu de schizos, beaucoup de paranos et surtout énormément de cons. » Et je n’en dis pas plus… du moins pour l’instant.

— Mais où trouver Pierre et Judas ?

— D’ordinaire, cette recherche est laissée à l’idiosyncrasie du lecteur… Libre à lui de désigner les traîtres nécessaires à la conclusion de la comédie municipale. Mais les temps ne sont plus favorables à ces exercices de la pensée. Le citoyen, toujours ordinaire sinon il devient incivique par agissement contradictoire, ne possède plus les outils utiles à l’analyse des faits, surtout si on lui demande de participer à leur élection. Aussi ai-je renoncé à la science et lui ai-je substitué les pratiques de la publicité et de la propagande. Le cerveau du commun des mortels, tout à l’assaut de ses désirs simplistes, ne comprend plus nos saintes cacozélies. Aussi est-il judicieux de mettre les pieds dans le plat sans se soucier des domestiques chargés de la protection des notables.  J’en connais un qui ne voit jamais d’inconvénient à appeler un chat un chat. Voici sa carte.

— (consultant la carte) Mais c’est… mais c’est un…

— Matérialiste, oui ! »

La Passion de Louis Marette (12)

 

CHAQUE SEMAINE

 

FEUILLETON MUNICIPAL A SUIVRE SUR LE SITE DE PATRICK CINTAS :
Suite du Perroquet de Louis Marette

 

La Passion de Louis Marette (12)

 

La Passion de Louis Marette (12)

Marette se couche. Il se coupe partout à cause du vert cassé. Il saigne ici et là. Ce rouge l’angoisse. À l’époque, quand il vivait, ça commençait par le bleu, celui du Ciel, et après un passage à blanc, il voyait rouge. Il n’avait pas encore rencontré de perroquets en vente libre. Il y en avait, mais il fallait les importer des Colonies. Alors, genoux en terre, et vêtu de blanc, la couleur de la virginité, il buvait au calice le rouge sang de la patrie en goguette africaine. Il faisait comme tout le monde. Il buvait ce qu’il y avait à boire. Tout le monde faisait ça sans rouspéter. On trinquait avec des croix rouges de sang. Les vignerons se marraient. L’État se marrait. Les services de désintoxication aussi, qui se gardaient bien de désintoxiquer. Alors… comment c’est que le vert s’est imposé à Marette comme la couleur des jours, les bons comme les mauvais ? D’aucuns affirment que c’est en discourant qu’il avala un perroquet pour montrer de quoi il était capable si les écolos continuaient d’agir sur ses terrains de chasse pourtant gardés par d’autres salauds sartriens, sachant toutefois que le vert est pédant. Je bois du pédant, dit le salaud, et je m’en porte mieux, devint la devise du futur Sauveur… Sauveur de quoi ? On le saura bientôt. Voilà pour la première interprétation du vert marette qui figure maintenant dans notre palette de peintre des mœurs françaises agissant en terre occitane.

Une autre interprétation fait allusion au daltonisme… Mais cette supputation erratique ne tient pas la route. En effet, si Marette eût perçu le rouge comme vert à l’époque colonialiste, comment expliquer qu’ensuite il vit le perroquet vert et non pas rouge ? L’achromatopsie ne vaut pas plus cher. Laissons tomber les hypothèses somatiques et concentrons notre étude sur le cerveau de cet individu représentatif du bas de l’échelle électorale. Affirmons sans plus de doute que Marette voit vert quand c’est vert et rouge quand il est daltonien, ce qui lui arrive quelquefois, reconnaissons-le, car son jugement en matière humaine est faussé par sa nostalgie de l’ancien régime.

Il n’empêche que quand il se coupe, ça saigne rouge et non pas vert comme le prétendent les mauvaises langues de l’opposition qui saigne vert uniquement par rhétorique, ce qui est un comble à l’époque moderne. Mais de là à prétendre que Loulou est moderne, il y a loin.

Or, couché dans le vert de ses propres tessons et distinguant parfaitement le cul du goulot, Marette saignait rouge. Mais qu’il saignât de cette couleur n’est pas le plus étonnant (étonnant : miraculeux.) A-t-on assisté à un saignement qui ne fût pas rouge ? Jamais. Par contre, a-t-on déjà vu un mort saigner ? Jamais. Deux évidences qui confirment la thèse selon laquelle il n’y a pas de miracle sans Dieu. Or, Marette saignait rouge et il était mort. Jim Morrison rouvrit son carnet de notes où figuraient aussi les réponses aux questions embarrassantes relatives au fait religieux considéré comme une réponse à toutes les questions. Il pâlit : aucune réponse à la question que l’état de Marette posait à l’esprit en proie à l’angoisse des profondeurs métaphysiques. Il questionna le mort :

« Louis, commença-t-il alors qu’il avait la gorge nouée par la perspective évangélique, es-tu bien mort… ?

— Hé bé que si j’en crois l’état de ma dépouille, constata le maire de Mazères désormais en ballotage, je ne peux pas me dire vivant. Mais si j’en crois mon sang, je suis vivant. Je me demande si je respire encore…

— Aucun signe de respiration sur le miroir…

— La méthode est ancienne…

— Mais ton corps, ô Louis le Vert…

— Le Vert-Galant si c’est permis par la Curée…

— Le Vert-M’allant, dit la Prophétie…

— (se penchant sur le petit carnet) Hé merde ! À une lettre près…

— Revenons à nos moutons…

— (citant) « Je suis vivant et vous êtes morts… »

— Ce sang qui coule fait de toi un vivant… Sa couleur annonce…

— Que je vais me remettre au rouge sans daltonisme… »

La Passion de Louis Marette (11)

 

CHAQUE SEMAINE

 

FEUILLETON MUNICIPAL A SUIVRE SUR LE SITE DE PATRICK CINTAS :
Suite du Perroquet de Louis Marette

 

La Passion de Louis Marette (11)

 

La Passion de Louis Marette (11)

Mais le baptiste est têtu. Il en a une à placer, directement inspirée par les hautes instances du Ciel… qui deviendra vert si Dieu le veut. Et si jamais il le veut, Marette ne manquera de rien… jusqu’à atteindre sa destination, pense Jim Morrison en baissant la tête pour regarder ses pieds qui le mènent il sait bien trop où en compagnie d’un compagnon des servitudes et de leurs supposées grandeurs. Il la place :

« Je me répète peut-être, ahane-t-il, mais je suis venu pour ça… en espérant ne pas y rester… parce que la dernière fois j’en ai perdu la tête…

— L’avantage avec les perroquets, c’est qu’ils se ressemblent tous… titube Marette dans son herbe. Je sais pas s’ils sont de la même famille, mais le vert leur est commun comme le drapeau à la nation… répète voir un peu, Jimmy…

— Je disais que le retour du Sau…

— Tu ne vas pas recommencer !

— Il le faut bien si je me répète…

— Mais les perroquets ne recommencent pas… !

— Et qu’est-ce qu’ils font alors pour rester perroquets… ?

— Hé bé té ! Ils continuent !

— Justement dit ! Car si je continue ce que j’ai commencé…

— « le retour du sot… heu… du seau… »

— J’en viendrais à dire…

— À répéter… ! Il n’y a pas de religion sans répétition… Tout recommence et ça continue…

— Le retour du Sauveur est…

— Du Sauveur ? Moi ? »

Marette s’arrête, éberlué par son image reflétée dans les perroquets vides qui jalonnent son chemin de croire.

« Moi ? Sauveur ? Et mon père qui prétendait que j’étais bête comme mes pieds et méchant comme la teigne ! »

Il rejette ses genoux dans le vert de l’herbe et des transparences.

« Je ne le serais donc plus !

— Il n’y a pas de Sauveur qui le soit…

— Le vert m’a donc purifié…

— Il le faut bien, sinon la Prophétie n’en est plus une…

— Je suis tombé dans un perroquet quand j’étais petit ! »

Marette sautille sur son propre corps…

Note : N’oublions pas en effet qu’il est mort, enchevêtré maintenant dans la carcasse platanisée de sa voiture. Le présent récit exploite toutes les possibilités narratives de ce double plan : la vie, où il est mort ; et la mort, où il est sauvé… à défaut d’être vivant. L’auteur se place dans cette perspective, sorte de miroir qui se regarde lui-même et… voit ce qu’il voit. Passons…

« Et revenons à nos moutons, dit le baptiste anglo-saxon.

— Papa a bien fait de me l’envoyer cette tord-gnole…

— Le ciel était bleu et le perroquet vert…

— J’en fais mon drapeau, comme saint Jean les sardines…

— Je vois… le perroquet se boit bien frais…

— Sinon il ne réchauffe pas… »

Disant cela, Marette fait un saut. Puis il met le pied dans un seau et frappe ce sceau dans l’herbe. Il constate :

« C’est pas sot… Constate par toi-même, ô Baptiste…

— Je sais déjà tout… »

À ces mots, Marette devient rose. Il craint aussitôt d’ajouter cette couleur à son drapeau.

« Dis-moi tout ! couine-t-il. Je veux savoir…

— Tout le monde le sait… Même les musulmans le savent…

— Et moi qui n’en sais rien… !

— As-tu été au catoche… ?

— Je l’ai même fini ! D’un trait ! Cul…

— Et bien ça recommence…

— Mais comment ça commence… ?

— Un platane… enfin… un truc en bois…

— Un truc en boa… Zizi !

— Non ! Pas en plumes ! Et puis…

— Et puis…

— Tes seules femmes seront l’une ta sainte mère (pas l’autre) et l’autre une pute…

— (soulagé) Ah ! Je baise encore ! Ça faisait longtemps…

— Tu confonds perroquet et viagra… C’est pas bon les mélanges…

— Pas de mélange… ? Je comprends plus rien à ta prophétie, Baptiste… »

La Passion de Louis Marette (10)

 

CHAQUE SEMAINE

 

FEUILLETON MUNICIPAL A SUIVRE SUR LE SITE DE PATRICK CINTAS :
Suite du Perroquet de Louis Marette

 

La Passion de Louis Marette (10)

 

La Passion de Louis Marette (10)

« Je vois… dit le baptiste en se tenant le menton.

— Quoi vois-tu, ô Essénien… ?

— La Prophétie… Le retour du Sau…

— Du sot…

— Non ! Du Sau…

— Du seau… ?

— Non, te dis-je ! Du Sau…

— Un saut… Voyons… »

Marette se prend le nez et cherche dans les herbes folles de son cerveau… Si, si. C’est possible avec Marette. En trois mots, il retrouve toute la lie de son histoire (N’appelons pas ça existence, ça nous mènerait au Tribunal…)

« Saut… Seau… Sot… bafouille-t-il dans sa langue peu exercée aux pratiques linguistiques. Non… Sot saut… seau. Le seau fait un saut et hop ! Un discours électoral pour les sots !

— Ne dis pas de sottises ! Tu es destiné. Destiné à renouveler…

— Ça me plaît, ça ! Renouveler… Avec une petite augmentation du pot… de la peau… (il grimace comme si on lui arrachait le visage qu’il a mauvais) Pas de paut… Ça n’existe pas le paut ! C’est faux ! (il trépigne dans son herbe, ce qui lui fait mal) Mais il en faut, des fots ! Avant que la feau me feauche !

— Tu es mauvais en orthographe… pour un Sau…

— Ça ne doit pas la foutre si mal que ça… car je suis bon au pot…

— Revenons à nos moutons…

— Nos moutons… la Crèche où je crèche… à mes avantages paroissiaux. »

Marette recompte les perroquets d’un doigt tremblant.

« Il en reste ! Il n’en resterait pas si je n’en ôtais pas… Vous êtes d’accord avec moi sur ce point… ?

— Il en restera toujours si tu les multiplies… Que voilà un miracle ! Ce sera le premier. Je prends note ! Le Nouvel Évangile démarre bien. Oublions la mauvaise conduite !

— Oublions le platane !

— Et revenons à nos moutons.

— À ma mort ! »

Marette lève son perroquet et en renverse un peu dans son herbe.

« Mélangez-vous, mes petits éléphants !

— Ô délirium ! Des éléphants maintenant…

— Et des éléphantes ! N’oublie rien dans ton Évangile Nouveau ! Sinon ils ne comprendront rien et on me traitera de profiteur…

— Ils ne le savent pas encore…

— Tu veux dire que je suis mort et que tout le monde dort… ?

— Ils chanteront la Marseillaise… Mais je n’en dirai rien dans mon évangile…

— On ne peut pas tout dire… Et on ne ressuscite pas chez soi…

— Heureusement pour les simples d’esprit…

— Hé oui… les cons… Il en faut. Sinon on n’est plus en république.

— Si nous revenions à nos moutons… ?

— Ah hé té ! Si j’avais conduit un mouton au lieu d’une bagnole, je serai encore de ce monde…

— Tu veux dire « de l’autre monde… » Car il n’est plus ici, mais là… »

Le doigt de Jim le baptiste fait le tour. Marette soupire en suçant le cul d’un perroquet qui agonise.

« Je vais le regretter… J’y étais bien… Serviable envers les uns et salauds avec les autres.

— Ce n’est pas la morale qui t’as tué…

— C’est le platane… Mais qui l’a mis là !

— Je te le demande…

— Les voies du Seigneur connaissent le psittacisme… Et tout recommence… Avec les mêmes… Les salauds… les pédants… et cette sale race de phi… de phiphi… Ah ! ma langue ne veut pas le dire, té !

— Elle ne le peut pas… Mais revenons à nos moutons…

— Les sots… le seau… et le saut… les moutons… les perroquets… et le platane… Toute une vie (je dis pas existence à cause de qui vous savez…) et me voilà à vélo… en route pour le Paradis… ou l’enfer… »

Marette frissonne dans son herbe.

« Mais tu es destiné, ô petite mare ! Car la Prophétie…

— Que c’est une chose bien compliquée ! Surtout quand on a soif… et qu’on finit par voir tout en vert… »

Marette se vautre dans son herbe, répétant « Du vert ! Rien que du vert ! Pourquoi les perroquets ne sont-ils pas bleus comme la pilule ? Le bleu, c’est la couleur du ciel… le vert est-il la couleur de… de l’enfer ! »

Il attrape un perroquet par la queue et n’en renverse pas une goutte. Il le suce. Le perroquet se transforme en verre vide.

« Encore un miracle ! s’écrie-t-il. Un vert vide ! Alors qu’il était plein. Et bien vert ! »

Il pose le perroquet vide dans son herbe :

« Vois-le ! Il n’est vert que par transparence ! Mais si je l’élève, le voilà bleu comme le ciel… le ciel où je veux aller…

— Encore une parabole ! fait Jim Morrison en panne d’inspiration. Seul le perroquet vide prend la couleur du ciel.

— Seul le perroquet vide prend la couleur du ciel ! » répète Marette en jetant ses verts genoux dans l’herbe qu’il a semée.

La Passion de Louis Marette (9)

 

CHAQUE SEMAINE

 

FEUILLETON MUNICIPAL A SUIVRE SUR LE SITE DE PATRICK CINTAS :
Suite du Perroquet de Louis Marette

 

La Passion de Louis Marette (9)

 

LOUIS MARETTE
La Passion de Louis Marette (9)

« Putain ! Quelle nuit ! » fit Marette qui tentait ainsi de changer le sujet de cette conversation impromptue ou en tout cas imprévue.

En effet, il n’est pas rare de se trouver en situation de bizarrerie angélique suite à une nuit où le gendarme est chevauché sans autre procès. Des choses et même des êtres apparaissent sur l’écran tendu entre le teufeur et la direction qu’il prend, en général celle qui le conduit, plus ou moins légalement, à son logis. Marette avait donc raison de se stupéfier un peu plus. Et cependant, Jim le Baptiste secouait sa tête chevelue, constatant que le perroquet était de nouveau aussi vide que l’imagination politique de l’édile. Il patientait dans l’attente d’une solution.

« Si j’avais mon autre bras, dit Marette, je pourrais au moins m’asseoir…

— Servez-vous de votre bras valide…

— Lâcher mon perroquet ! Pas question ! Quand on tient un perroquet, on le laisse parler.

— Il parlera aussi bien si vous le posez par terre…

— Poser un perroquet dans l’herbe humide ! Pas question ! Il a juste ce qu’il faut d’aquosité. Ni trop ni pas assez. Hé mais c’est que, mon cher Jim, vous vous y connaissez en perroquet !

— J’ai beaucoup étudié… Voulez-vous que je vous récite un de mes poèmes… ?

— Plus tard ! Laissez parler le perroquet ! Oseriez-vous lui couper la parole… ?

— Bien… Attendons qu’il se taise… »

Et en effet, le perroquet devint tellement bavard que Marette en perdit l’usage de son seul bras valide. Il retomba à plat dans l’herbe aqueuse, comme un discours municipal, quoique celui qu’il préparait déjà dans la perspective du décret « perroquet sur la route » promettait des reliefs populaires dignes des meilleurs championnats. Marette se sentait bien ainsi, seul dans l’herbe pourtant moite, un perroquet debout sur son ventre horizontal et sans aucune sensation de membre ni d’esprit. Jim s’alarma :

« Réveillez-vous ! Voyons, monsieur le maire (comme dirait un gendarme à la vitre de votre voiture côté chauffeur…) Vous êtes destiné ! Destiné ! »

Ce seul mot eut pour effet de répandre dans tout le corps de l’édile une sensation de picotement qui n’avait rien à voir avec celle que provoquent le glissement halluciné d’un serpent ou le trottinement pervers d’un lézard à allure de dinosaure. Même les Martiens n’avaient pas ce pouvoir d’expansion. Marette en conçut une angoisse insoutenable sans le secours du vert qui ne fût pas celui de l’herbe aux fluides si neutres qu’on se demande à quoi ils servent. Mais son œil libre de prisme était toujours fermé, ses paupières étant miraculeusement douées, il le reconnaissait comme à genoux dans la grotte sacrée, d’un pouvoir de rétention inimaginable en d’autres circonstances. Mais s’interrogeait-il vraiment sur les principes et l’inspiration qui innervaient ces circonstances ? Extraordinaires, elles ne l’étaient pas. Elles étaient même habituelles. Et depuis tellement de temps que l’édile en connaissait les détails même les moins avouables. Seulement, cette fois, un ange était apparu… Une porte (door en anglais) qui donnait sur la destinée… ce n’est pas tous les jours qu’on vous demande d’y frapper. Des perroquets, Marette en avait avalé tellement qu’il avait plusieurs fois changé de couleur. Un peu comme un personnage bisexuel (on ne peut pas aller plus loin en matière de sexe) mais avec autant de styles de couleur que le prisme est capable, par vertu scientifique, d’en produire à l’œil de celui qui a dépassé les bornes.

« Hé ouais… fit Marette en tirant sa verte langue. Si ces bornes avaient été des perroquets au lieu d’être des principes, j’eusse été sauvé une bonne fois pour toutes. Maintenant je comprends que je suis perdu… sur la route de Mazères à Saverdun… et vice le versa… il faut le faire ! Et je l’ai fait ! Je suis mort ! »

Le cri que poussa le maire de Mazères fut si épouvantable que tous les perroquets en réserve dans la musette de Jim Morrison s’égaillèrent dans les branches des platanes.

« N’allez pas plus loin, ô verts compagnons ! Sans vous je ne suis plus rien qui vaille !

— Ils reviendront, dit alors le baptiste.

— Vous en êtes sûr… ? Les voilà posés comme des hirondelles sur le départ… Ça me fiche un mouron tel que j’ai plus envie d’être maire…

— Ne dis pas de conneries, Marette ! Maire tu es et maire tu mourras…

— Mais je suis déjà mort ! Et mort accidenté ! Comme avait prévu le poète… »